
Octobre 2023, Méditerranée occidentale, Norwegian Epic. Sept jours d’enfer : cabine minuscule, bouffe infecte, queues partout. Je suis rentré en jurant de ne plus jamais remettre les pieds sur un bateau. Pourtant, six mois plus tard, j’ai acheté des actions Norwegian (NCLH) à 18$. Aujourd’hui, avec l’objectif à 30$ de J.P. Morgan, je me dis que j’ai peut-être eu raison pour de mauvaises raisons.
Quand la haine se transforme en compréhension business
Ma croisière était pourrie, mais le bateau était plein. 4000 passagers entassés, tous mécontents, mais tous payants. C’est là que j’ai eu mon déclic d’investisseur : peu importe que l’expérience soit décevante si les gens continuent à payer.
En rentrant, j’ai creusé les chiffres. Norwegian affiche un taux d’occupation de 105% (ils vendent plus de cabines qu’ils n’en ont grâce aux surclassements). Le prix moyen par passager augmente de 8% par an. Les gens se plaignent, mais ils rebrochent.
Matthew Boss de J.P. Morgan vient de confirmer ce que j’avais pressenti : la demande reste « solide pour au moins l’année prochaine. » En finance, « solide » dans la bouche d’un analyste de Wall Street, ça veut dire « indestructible. »
Ce que j’ai compris en regardant les autres passagers
Sur mon bateau de l’enfer, j’ai observé mes compagnons d’infortune. Couple de retraités du Kansas : « On fait une croisière par an depuis 15 ans. » Famille nombreuse de banlieue parisienne : « C’est notre seule semaine de vacances où on n’a rien à organiser. »
Voilà le secret de Norwegian : ils ne vendent pas du luxe, ils vendent de la commodité à prix abordable. Une semaine tout compris pour le prix d’un weekend à Londres. Dans un monde où le coût de la vie explose, c’est du génie commercial.
Boss note que Norwegian bénéficie de « réservations à long terme » contrairement aux compagnies aériennes. Traduction : les gens bookent leurs croisières 6-12 mois à l’avance et payent cash. C’est un cashflow prévisible que n’importe quel CFO envierait.
L’erreur que font tous les analystes travel
La plupart des experts comparent les croisières aux compagnies aériennes. Erreur fondamentale. Les compagnies aériennes subissent la concurrence des trains, des voitures, du télétravail. Une croisière ? Ça ne se remplace pas.
Vous ne pouvez pas faire une « croisière en mode télétravail. » Vous ne pouvez pas prendre le train pour aller de Barcelone aux Baléares avec vos trois mômes. Norwegian opère dans une niche quasi-monopolistique pour un certain type de vacances.
Mon moment d’illumination ? Quand j’ai réalisé que ma haine de l’expérience n’avait aucune importance. Les vrais clients de Norwegian ne sont pas des voyageurs exigeants comme moi. Ce sont des familles qui veulent des vacances sans stress à prix raisonnable.
Pourquoi l’objectif 30$ de J.P. Morgan me semble conservateur
Boss fixe l’objectif à 30$ depuis un cours de 20$, soit +50% de potentiel. Après ma rencontre involontaire avec leur modèle économique, je pense qu’il sous-estime plusieurs facteurs :
L’inflation joue en leur faveur. Une semaine de croisière coûte aujourd’hui ce qu’une famille dépense en restaurants sur un mois. Plus la vie devient chère, plus leur proposition de valeur est attractive.
Ils ont un pricing power énorme. Augmentation de 15% des tarifs en 2024, taux d’occupation stable. Ils peuvent pousser les prix sans perdre de clients.
La concurrence diminue. Carnival a des problèmes financiers, Royal Caribbean vise le haut de gamme. Norwegian reste seul sur le segment « croisières pour classe moyenne. »
Les risques que Boss ne mentionne pas (et qui m’inquiètent)
L’analyse de J.P. Morgan passe sous silence plusieurs points noirs :
Dette colossale. Norwegian traîne encore 9 milliards de dettes post-COVID. Si les taux restent élevés longtemps, les intérêts vont plomber les bénéfices.
Catastrophe environnementale en cours. Les bateaux de croisière polluent autant qu’une petite ville. Si l’Europe durcit sa réglementation environnementale, Norwegian va morfler.
Expérience client dégradée. Mon horrible croisière n’était pas une exception. Les avis clients se dégradent année après année. À un moment, ça finira par impacter la demande.
Ma stratégie d’investissement (imparfaite mais assumée)
J’ai acheté à 18$, je vends un tiers à 26$ (atteint la semaine dernière), je garde le reste jusqu’à 35$. Si ça descend sous 22$, je double ma position.
Mon raisonnement ? Norwegian surfe sur une tendance sociologique profonde : la démocratisation du voyage. Ils transforment le luxe d’hier en commodité d’aujourd’hui. Tant que la classe moyenne mondiale grossit, leur marché s’élargit.
Pourquoi j’investis dans une entreprise que je déteste
Cette expérience m’a appris une leçon fondamentale : vos goûts personnels n’ont rien à voir avec la performance d’un investissement. Je déteste McDonald’s, mais je reconnais leur génie commercial. Pareil pour Norwegian.
Ils ont créé une machine à cash en industrialisant les vacances. C’est moche, c’est cheap, mais ça marche. Et dans le capitalisme moderne, « ça marche » prime sur « c’est beau. »
Boss de J.P. Morgan parie sur leurs « stratégies gagnantes. » Moi, je parie sur leur capacité à transformer l’insatisfaction client en profits croissants.
Après tout, tant que les gens préfèrent des vacances pourries pas chères à pas de vacances du tout, Norwegian a un avenir.
