
C’était en septembre 2022, lors d’une conférence tech à Zurich. Un investisseur institutionnel suisse me confiait : « Musk est brillant, mais il me fait peur. Comment peut-il diriger Tesla tout en lançant des fusées et en rachetant Twitter ? » Deux ans et demi plus tard, avec l’action Tesla qui s’effondre de 36% en un mois, cette inquiétude résonne comme une prophétie.
Aujourd’hui, alors que les résultats de livraisons de mars approchent, Tesla vit un paradoxe fascinant : l’entreprise la plus innovante au monde est handicapée par le génie dispersé de son fondateur.
Pourquoi j’ai vendu mes actions Tesla (et pourquoi je le regrette peut-être)
En janvier 2024, j’ai pris une décision douloureuse : vendre mes actions Tesla que je détenais depuis 2019. Pas par manque de foi dans la technologie – leurs batteries et leur logiciel de conduite autonome restent les meilleurs au monde – mais par exaspération face à l’imprévisibilité d’Elon Musk.
Le déclencheur ? Son obsession pour le Dogecoin et ses tweets erratiques sur la crypto. Comment expliquer à mon conseiller patrimonial que le PDG de ma participation principale passe ses week-ends à manipuler le cours d’une monnaie-meme ?
Ma décision était-elle rationnelle ? Les faits me donnent raison à court terme (-36% depuis), mais j’ai des doutes pour le long terme.
Ce que Chris Versace ne dit pas (mais que tout investisseur pense)
L’analyste de TheStreet Pro a raison de pointer les « efforts dispersés » de Musk, mais il euphémise le problème. Le vrai souci n’est pas que Musk ait d’autres projets – Steve Jobs dirigeait Apple ET Pixar. C’est qu’il semble avoir perdu le fil stratégique de Tesla.
SpaceX ? Génial et complémentaire (satellites pour les voitures connectées). Neuralink ? Visionnaire mais prématuré. The Boring Company ? Gadget coûteux. Twitter/X ? Catastrophe financière et distraction majeure.
Quand votre PDG perd 44 milliards sur un réseau social pendant que votre action chute, il y a un problème de priorités.
Mon diagnostic depuis la Suisse : Tesla souffre du « syndrome du fondateur »
Observant l’écosystème tech depuis Genève, je vois Tesla reproduire les erreurs classiques des entreprises dirigées par leur fondateur charismatique. Musk est devenu simultaneously l’atout le plus précieux et le risque systémique le plus important de Tesla.
Comparez avec les entreprises suisses comme Nestlé ou Roche : des dirigeants compétents mais pas irremplaçables, des stratégies cohérentes sur décennies, des conseils d’administration qui osent dire non. Tesla a besoin de cette maturité organisationnelle.
Pourquoi les livraisons de mars sont un piège à analyste
Tout le monde fixe les chiffres de livraisons de mars, mais c’est regarder l’arbre qui cache la forêt. Tesla ne vend pas que des voitures, l’entreprise construit l’infrastructure de transport du futur. Les métriques qui comptent vraiment :
- Progression du Full Self-Driving (FSD) : révolutionnaire mais encore bridé par la réglementation
- Déploiement du réseau Supercharger : Tesla devient un opérateur énergétique
- Marges sur les services : la vraie mine d’or de demain
Un trimestre de livraisons décevant ne change rien à ces fondamentaux. Mais la bourse punira quand même, parce qu’elle raisonne en trimestres, pas en décennies.
Ma prédiction contrarian pour Tesla
Voici mon pari personnel : Tesla sera plus forte dans cinq ans, mais avec un autre PDG qu’Elon Musk. Pas parce qu’il sera viré – Tesla LUI appartient – mais parce qu’il s’ennuiera et passera à autre chose.
Musk excelle dans la phase de disruption, moins dans l’exécution opérationnelle. Tesla entre dans sa phase de maturité industrielle. L’entreprise a besoin d’un Tim Cook, pas d’un Steve Jobs perpétuel.
Ce que j’achèterais aujourd’hui (si j’osais)
Paradoxalement, cette chute de 36% rend Tesla interessante pour la première fois depuis des mois. Mon analyse :
- Trop cher à 300$ en janvier : valorisation déconnectée des fondamentaux
- Attractif sous 200$ : le marché sur-réagit aux problèmes court terme
- Irrésistible sous 150$ : là, même les risques Musk sont intégrés
Mais j’attendrai les résultats de mars. Si les livraisons déçoivent, on pourrait voir les 150$.
L’erreur d’analyse des experts
La plupart des analystes se trompent sur Tesla en raisonnant « constructeur automobile ». Tesla n’est pas Ford avec des batteries. C’est une entreprise technologique qui fabrique des ordinateurs roulants connectés à un écosystème de services.
Apple ne vend pas des téléphones, mais de l’écosystème iOS. Tesla ne vendra bientôt plus des voitures, mais de la mobilité autonome. Cette transition explique la volatilité actuelle : le marché ne sait pas comment valoriser cette mutation.
Mon conseil aux investisseurs suisses
Face à Tesla, adoptez la patience helvétique plutôt que l’hystérie des marchés. L’entreprise traverse une crise de croissance classique : passage du startup disruptif au géant industriel. Douloureux mais nécessaire.
Si vous avez les nerfs solides et un horizon 5-10 ans, profitez de la panique pour accumuler. Si vous dormez mal la nuit en regardant votre portefeuille, passez votre chemin.
La vraie question que personne ne pose
Et si le problème n’était pas Elon Musk mais nos attentes irréalistes ? Nous voulons qu’il soit Henry Ford ET Thomas Edison ET Walt Disney simultanément. C’est humainement impossible.
Peut-être que Tesla doit choisir : rester l’entreprise visionnaire mais imprévisible de Musk, ou devenir l’opérateur stable et rentable dont les investisseurs rêvent.
Les résultats de mars nous diront dans quelle direction penche la balance.
